La nouvelle voie gagnante de Jeremy Wotherspoon
Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était les Jeux olympiques de 2002 et toute l’équipe s’était rassemblée dans le salon de la famille et des amis des athlètes de Hockey Canada. Nous rendions visite à nos êtres chers et le salon bourdonnait d’animation.
Les conversations se sont tues subitement.
Toutes les télévisions étaient allumées et montraient Jeremy Wotherspoon prendre place sur la ligne de départ de l’épreuve du 500 m. Tout le monde s’entendait pour dire qu’il était l’homme à battre et possiblement le meilleur athlète de l’équipe olympique, tous sports confondus. On s’attendait à ce que la médaille d’or en patinage de vitesse lui revienne parce que son talent et son éthique de travail le prédestinaient à la plus haute marche du podium.
La tension était palpable et un silence absolu régnait.
Puis, tout le monde a sursauté. Ce qui devait être un moment merveilleux s’est transformé en cruelle déception.
Jeremy a trébuché après le coup de départ.
Notre déception était toutefois incomparable à celle de Jeremy. Imaginez être le champion incontesté et au moment d’en faire la preuve au monde entier, vos moyens vous échappent.
J’ai toujours admiré Jeremy Wotherspoon. C’est probablement parce que j’ai eu l’occasion de constater l’étendue de son talent et l’efficacité de sa méthode de travail à l’Anneau olympique de Calgary. C’est aussi un gars vrai, terre-à-terre et un peu timide. Il avait beau être l’un des plus grands athlètes olympiques que le pays a connus, il était toujours disponible pour jaser.
LE RETOUR
Jeremy envisageait un retour au patinage de vitesse et une qualification dans l’équipe des Jeux olympiques de Sotchi depuis un bon moment. Même s’il a pris sa retraite peu de temps après les Jeux de 2010, il ne s’est jamais vu autrement qu’en patineur de vitesse.
Ses réalisations sur la glace ont beau être remarquables, c’est la déception olympique qui entretient le feu sacré. En 1998, il s’est incliné devant le Japonais Hiroyasu Shimizu pour remporter la médaille d’argent au 500 m. En 2002, c’était la chute malheureuse survenue un bref instant après le signal de départ. En 2006, il a essayé d’être trop parfait pour rattraper sa défaite de 2002. En 2010, des blessures l’empêchaient d’être au sommet de son art et il sortait d’une pause de près d’un an avant les Jeux en raison d’une fracture au bras.
Comme tous les olympiens, il aurait aimé être « meilleur aux Jeux olympiques ».
UN HOMME D’EXPÉRIENCE
Si son sport faisait l’objet d’une couverture médiatique perpétuelle comme le hockey au lieu de faire parler de lui tous les quatre ans, le grand public saurait sans aucun doute que Jeremy est un athlète hors du commun et qu’il mérite tous les honneurs.
Notre pays peut se compter chanceux parce que Jeremy a aidé plusieurs personnes de son entourage à se dépasser.
Pendant sa retraite, il a été entraîneur en Europe, et son nouvel emploi lui a permis de découvrir certaines choses qu’il n’avait jamais vues auparavant. Être entraîneur lui a donné une nouvelle perspective sur sa propre carrière d’athlète. À un moment où plusieurs membres de la communauté sportive canadienne déploraient la perte d’un grand athlète canadien au profit d’un autre pays et son incidence sur notre propre développement, l’expérience s’est avérée enrichissante pour Jeremy.
À la demande de son ami Marnix Wieberdink et de son employeur, Jeremy s’est joint à l’académie de patinage de vitesse Kia, en Allemagne. Les patineurs qui se joignent à cette équipe évoluent généralement dans des conditions imparfaites. L’objectif du programme est d’approfondir le patinage de vitesse en faisant participer davantage d’athlètes de différents pays à la Coupe du monde.
Pour effectuer son retour, c’est d’une équipe qu’il avait besoin.
LA PATERNITÉ
C’est aussi pendant cette période qu’il est devenu père. Sa fille Ella lui enseigne la patience et lui apprend à faire de son mieux, peu importe ce que la journée lui réserve. Il applique ces qualités à son entraînement quotidien. Parmi les déceptions, il a appris à accepter les choses telles qu’elles sont, mais surtout, il sait maintenant qu’il peut apprendre des expériences plus difficiles pour aller de l’avant.
Que se passera-t-il de différent cette fois?
Comme d’habitude, Jeremy a consigné par écrit son plan dans un journal. Mais pour la première fois, c’est à lui que revient la grande responsabilité de créer son plan d’entraînement. Autre nouveauté, c’est lui qui prend la plupart des décisions relatives à son sport. Il doit être conscient de l’énergie dépensée et ne pas trop s’investir dans le processus quotidien.
Jeremy ne s’est pas qualifié dans l’équipe canadienne de la Coupe du monde. S’il dispute moins de courses, il aura davantage de temps à consacrer à son entraînement. Sans brevet, il doit défrayer lui-même les coûts de voyages et d’entraînement, et les essais olympiques de décembre approchent à grands pas.
Mais le parcours atypique du meilleur patineur de vitesse masculin de l’histoire de la Coupe du monde pourrait faire la différence et lui permettre d’effectuer son retour en se qualifiant pour les Jeux olympiques de 2014 à Sotchi. Qui sait, peut-être décrochera-t-il enfin la médaille d’or qui lui a toujours échappé.