Dans ses propres mots : le combat de Mercedes Nicoll avec la dépression
Je n’ai pas peur, je l’affirme, je souffre de dépression.
Je partage mon histoire pour montrer qu’il est bénéfique d’en parler lorsque vous vivez des moments difficiles. On aime prétendre que nos vies sont merveilleuses et que tout va bien quand dans le fond c’est faux. Personne n’est parfait. S’ouvrir aux gens et partager avec eux, c’est la clé pour se sentir bien dans sa peau et ça nous rend aptes à aider les autres. Alors, parlons-en.
La chute
Il ne restait que cinq minutes à l’échauffement avant le début de l’épreuve féminine de demi-lune à Sotchi 2014. Je me suis lancée à toute vitesse pour un backside 900 (deux rotations complètes). Mais en un instant, tout a ralenti. Au sommet du mur, j’ai su que quelque chose n’allait pas. La neige était si molle; elle a cédé quand j’ai entamé ma rotation. Plutôt qu’un simple atterrissage forcé sur la plateforme, je me trouvais maintenant à la renverse pour une chute libre de deux étages au beau milieu de la demi-lune. Le choc avec la neige a été brutal. Ma hanche a encaissé le premier coup, puis c’est le côté droit de mon visage qui a écopé. J’en ai eu le souffle coupé, mais j’ai réussi à me relever. Je me répétais sans cesse : relève-toi! Relève-toi! Il ne te reste que cinq minutes d’échauffement. DEBOUT!
J’ai tout de même participé à la compétition. J’ai complété deux descentes, mais la douleur était agonisante. J’avais une sévère contusion au niveau de la hanche et une autre au visage, j’avais aussi des entorses aux côtes, deux vertèbres déplacées au niveau du cou et une légère commotion cérébrale qui s’est avérée plus grave que prévu.
Ce soir-là, je suis sortie dans un club appuyé sur des béquilles. En voyant les lumières vives et à cause de la musique assourdissante, je me suis mise à vomir.
Ce n’était que le début de la période la plus difficile de toute ma vie.
La dépression
Chaque matin, je jetais un œil à la belle journée qui s’annonçait, mais n’y voyait qu’un épais brouillard. J’avais constamment l’impression de vivre un lendemain de veille : ma tête dans un étau, un tintement étrange entre les deux oreilles, des nausées, les nerfs à fleur de peau. Je dormais 10 à 15 heures par jour, mais j’étais perpétuellement fatiguée. J’ai perdu mes muscles, mon équilibre, ma personnalité, mon étincelle.
Chaque matin, je jetais un œil à la belle journée qui s’annonçait, mais n’y voyait qu’un épais brouillard. J’avais constamment l’impression de vivre un lendemain de veille : ma tête dans un étau, un tintement étrange entre les deux oreilles, des nausées, les nerfs à fleur de peau. Je dormais 10 à 15 heures par jour, mais j’étais perpétuellement fatiguée. J’ai perdu mes muscles, mon équilibre, ma personnalité, mon étincelle.
« Je sais que c’était les deux années les plus sombres de sa vie. Elle devait puiser en son for intérieur pour trouver la force de s’en sortir. » – Dominique Vallée, coéquipière en 2006 à Turin.
Tout ce qui me semblait naturel jusque-là m’était maintenant inconnu. J’ai dû me résoudre à ne plus conduire. Parcourir une distance qui auparavant m’aurait pris 10 minutes à pied, me prenait maintenant plus d’une heure. J’avais l’impression de marcher dans de la mélasse. Même socialiser m’était insupportable. On aurait dit que je me trouvais dans une pièce avec des milliers de gens qui me parlaient et à qui j’étais incapable de répondre. J’ai d’ordinaire beaucoup d’entregent, et l’incapacité d’entretenir une conversation m’a donc menée vers la solitude.
Je peinais à vivre avec moi-même. Ma vie, c’était la planche à neige et la compétition depuis que j’avais 14 ans – c’était tout ce que je connaissais. On m’enlevait mon sport, mes amis, la danse, les rires et c’était pénible : un pas de plus vers la noirceur, la dépression.
Le moment le plus terrifiant et le plus déprimant de la journée, c’était le réveil. Avec une commotion, on ne sait jamais quand on s’en sortira. Avec une fracture, après six semaines c’est fini. Je n’avais pas de plâtre, et mon œil au beurre noir était déjà guéri. Je me réveillais tous les matins, dans un épais brouillard et sans aucune raison de me traîner hors du lit. J’attendais que les maux de tête passent, j’attendais la guérison.
J’avais peur de ne jamais retrouver mon étincelle, d’être perdue à jamais dans mon brouillard. J’ai dû consulter. Je devais me rendre à l’évidence que je n’étais plus la personne que j’avais été. Je devais me trouver de nouveaux passe-temps. J’allais maintenant devenir la Mercedes qui aime les longues marches tranquilles en forêt et la peinture.
Mais tout ce que je voulais, c’était retrouver ma vie d’avant. Je faisais semblant que tout allait bien, je souriais sans conviction, incertaine de pouvoir me remettre à mon sport. C’est à ce moment que j’ai découvert ma vraie nature d’athlète, révélée seulement une fois que le sport m’eut été enlevé.
Tous les jours n’étaient pas si sombres. Parfois, je me réveillais en pleine forme, heureuse, comme si ma vie m’appartenait. Je pouvais essayer de m’activer de nouveau. Par contre, mon corps avait changé. Je le poussais au‑delà de ses limites, puis je sombrais, encore et toujours.
Un médecin m’a dit que cette blessure pouvait mettre un terme à ma carrière. On doutait de moi, au point où je doutais moi-même. On me croyait folle de vouloir à ce point me remettre à mon sport.
Une chose était certaine, j’allais rester positive et j’allais remonter sur ma planche. Je savais que j’allais devoir travailler fort pour surmonter mes peurs. Je devais croire en moi, même si j’étais la seule à le faire. Mais en janvier 2015, quelqu’un a finalement cru en moi.
« Ta guérison sera complète. going to make a full recovery.” – Dr Andrew Howard, neuropsychiatre
Ces mots ont changé ma vie. Je me suis donc entourée de personnes positives. Je me suis donné le minuscule défi de marcher un peu plus vite chaque jour. J’avais de nouveau une raison de sortir du lit. L’épais brouillard se levait tranquillement, je sentais mon étincelle se raviver!
C’est au beau milieu de la dépression que j’ignorais le plus l’état dans lequel j’étais. Je me sentais léthargique, dénuée de ma personnalité. J’étais une tout autre personne. Lorsque j’ai percé cet épais brouillard et réussi à me convaincre de m’en sortir à tout prix, j’ai réalisé que cette léthargie et cet effacement de ma personnalité étaient des signes de ma dépression. Raviver mon étincelle nécessiterait beaucoup de patience, d’optimisme, d’ambition et d’ondes positives.
La dépression effraie et le positivisme derrière chaque petit pas qu’elle faisait pour se sortir de sa noirceur était crucial. » — Alix Nicoll, mère de Mercedes
Encore aujourd’hui, si je n’ai rien pour me motiver à sortir du lit, c’est facile de sombrer à nouveau dans le brouillard. Je dois avoir des objectifs et des plans pour me garder occupée. J’ai retrouvé mon étincelle et je veux la garder. Ce n’est pas une mince affaire, mais dans la vie, rien n’est gratuit!
Le retour
En mars 2015, j’étais fin prête à me remettre au sport, après un an de réadaptation. Je devais retourner en salle de musculation pour refaire ma masse musculaire.
Pour la première fois, lors de son premier entraînement, j’ai vu la frayeur dans les yeux de Mercedes. Ça m’a fait peur. Ni elle ni moi ne savions ce qu’elle serait capable de faire. Sa carrière était en jeu tout au long de ces 90 minutes. Mais elle est passée au travers. À la fin de la séance, nous étions tous deux plus exténués mentalement que physiquement. » – Matt Fisher, préparateur physique de Canada Snowboard
En janvier 2016, j’ai eu à affronter un défi de taille. Je m’attaquais de nouveau à la demi-lune! J’étais effrayée et fébrile tout à la fois. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait.
J’ai dû affronter ma bête noire et m’élancer de ces parois de six mètres qui m’avaient brisée. Petit à petit, j’ai enfin réussi à me réapproprier toutes mes manœuvres.
Le 31 janvier, j’étais en route vers Salt Lake City pour ma première compétition depuis Sotchi 2014. Après ma première descente en qualification – sur mes pieds, après mon premier 720 – j’ai médité sur ce que je venais d’accomplir. J’avais dominé mes peurs et je pouvais de nouveau faire ce que j’aime. Je me suis alors mise à pleurer.
« Aujourd’hui, quelques années après sa blessure, son étincelle brille toujours grâce à tout ce temps et ces efforts qu’elle a consacrés à travailler avec les meilleurs spécialistes afin de se retrouver dans toute sa vivacité. » – Kimmy Fasani, planchiste professionnelle
Les nationaux de mars 2016 n’ont jamais eu une aussi grande signification. J’avais remporté le titre à quatre reprises et je voulais le ravoir. Deux ans plus tôt, j’étais incertaine de pouvoir encore pratiquer mon sport. De me retrouver ainsi au sommet du podium m’a apporté l’espoir nécessaire pour les années à venir afin de poursuivre ma passion et de continuer à repousser mes limites.
C’est la plus grave blessure que j’ai subie. Perdue dans le brouillard, je me suis enfin retrouvée. Je n’ai aucune cicatrice pour en témoigner, mais j’ai combattu et travaillé avec courage pour percer la noirceur et retrouver mon sourire et mon étincelle. Mon périple a été long, mais il m’a enseigné la patience, l’importance de m’entourer de personnes positives, la nécessité de croire en moi et de célébrer les petites victoires. Ma fierté, c’est mon étincelle qui brûle toujours.
Mercedes Nicoll est une planchiste en demi-lune, triple olympienne et espoir pour PyeongChang 2018.