La cause commune des Canadiens d’adoption aux Jeux olympiques
Ce serait injuste de demander à n’importe quel athlète, qu’il soit immigrant ou né au Canada, d’atteindre la barre fixée par Daniel Igali. Et pourtant, PyeongChang 2018 nous montre encore une fois cette merveilleuse contribution que font les nouveaux arrivants au sport canadien.
La célébration d’Igali après sa médaille d’or à Sydney 2000 fait partie des moments emblématiques de l’histoire olympique canadienne, à l’image de la victoire d’un autre Canadien d’adoption, Donovan Bailey, au 100 m à Atlanta 1996. Alors qu’Igali dansait avec le drapeau du Canada, une nation d’immigrants voyait ce qui était possible lorsque s’ouvrent les esprits et les cœurs. Elle découvrait comment le pays peut être récompensé avec la plus grande fierté par ceux qui en font leur chez-soi, et ce que signifie l’occasion pour la personne qui lui offre ce moment inoubliable.
Dix-huit ans plus tard, un Néerlandais qui ne s’est pas toujours senti à l’aise au sein du programme de patinage de vitesse des Pays-Bas a bondi sur la première marche d’un podium olympique en Corée du Sud. À l’image du Nigérian devenu Canadien aux Jeux de Sydney, Ted-Jan Bloemen est devenu champion olympique sous les couleurs du Canada. Avec ce qui était pour lui sa deuxième médaille à des Jeux d’hiver, il rendait la confiance que lui avait accordée son nouveau pays.
« Ça a été une décision difficile, mais en fin de compte ça a aussi été facile », a dit l’athlète de 31 ans au sujet de son déménagement au Canada après sa victoire au 5000 m. Quatre jours plus tard, il s’imposait au 10 000 m avec un record olympique.
Depuis son arrivée au Canada, Bloemen a établi le record du monde dans les deux épreuves. Celui du 10 000 m est tombé une année après l’obtention de sa citoyenneté, celui du 5000 m à la fin de 2017.
« Je me suis senti chez moi dès le début parce que j’étais si bien entouré. J’ai été tellement heureux ces quatre dernières années de ma vie. »
« J’ai choisi un parcours différent et je n’aurais pas pu souhaiter un meilleur dénouement. »
Parmi les 15 athlètes d’Équipe Canada aux Jeux de PyeongChang qui sont nés hors du pays, Bloemen est peut-être devenu le plus célèbre grâce à sa médaille, mais c’est sans doute le patineur artistique Keegan Messing qui remporte la palme de l’histoire la plus fascinante.
« Le plan a toujours été que je patine pour le Canada », affirme le Canadien aux racines immigrantes et né en Alaska. À la fin du 19e siècle, l’arrière-arrière-grand-père de Messing, Manzo Nagano, fut le premier Japonais à immigrer officiellement au Canada. Un mont a d’ailleurs été nommé en son honneur en Colombie-Britannique.
« On a conservé le sang japonais jusqu’à ma mère, racontait Messing lors d’une mêlée de presse en Corée. Mon grand-père venait de Terre-Neuve, et je crois que ma grand-mère était Britanno-Colombienne. Ma mère est née à Edmonton, a grandi à Peterborough et a déménagé en Alaska, où elle a rencontré mon père. Ils y sont depuis. »
L’athlète de 26 ans a sacrifié deux ans de compétition pour la chance de représenter le Canada. C’est la pénalité imposée aux athlètes qui changent de pays au milieu de leur carrière internationale.
« Ne connaissant pas les règles, j’ai été un peu pris au piège au tout début, mais je ne pourrais pas être plus fier de porter la feuille d’érable », souligne Messing.
Messing n’est pas le seul patineur artistique à avoir troqué la bannière étoilée pour l’unifolié ces dernières années. Kaitlyn Weaver en est à ses deuxièmes Jeux comme Canadienne, après ceux de Sotchi en 2014, tandis que Piper Gilles fait ses débuts olympiques à PyeongChang.
« Le Canada m’a donné un nouveau départ, et c’est l’un des plus beaux aspects de ce pays, le fait qu’il soit si accueillant », croit Gilles. Comme Messing, sa mère et sa grand-mère sont canadiennes, ce qui a beaucoup facilité la conversion. « On encourage les gens à venir ici. Ce sera très spécial pour moi de représenter le Canada pour la première fois. »
Du côté des pistes de ski, un autre athlète né aux États-Unis, Chris Del Bosco, est débarqué avec sa propre histoire de renaissance canadienne.
Skieur vedette à son adolescence, le double citoyen est tombé dans des problèmes de consommation au début de la vingtaine. Canada Alpin lui a offert de s’entraîner au nord de la frontière pour l’aider à retrouver ses moyens. Del Bosco a accepté et est depuis devenu l’un des coureurs de ski cross les plus dominants de la planète.
« On va gagner des médailles, veux-tu en faire partie? » lui a-t-on proposé, comme il l’a confié à une journaliste du Toronto Star avant Sotchi 2014. Le skieur de 35 ans en est à ses troisièmes Jeux olympiques, avant lesquels il a gagné les Championnats du monde de 2011 et deux titres aux X Games – tous sous les couleurs du Canada.
Aucun récit de vétérans accomplis qui ont choisi le Canada ne peut être raconté sans y inclure Lascelles Brown.
Ancien membre de la fameuse équipe jamaïquaine de bobsleigh – une dynastie qui a ses propres liens avec le Canada, à savoir le film Les apprentis champions (Cool Runnings), basé à Calgary et mettant en vedette le Canadien John Candy –, Brown est devenu un pilier du programme canadien, remportant l’argent en bob à deux à Turin 2006 et le bronze en bob à quatre à Vancouver 2010.
Le freineur est de retour pour ses cinquièmes Jeux, les quatrièmes sous les couleurs du Canada après ses débuts avec la Jamaïque. À 43 ans, il sent qu’il lui en reste assez pour se propulser, lui et Christopher Spring, son pilote australien devenu canadien, sur le podium à PyeongChang.
Spring a lui aussi représenté un autre pays avant de choisir le Canada. Il a participé aux Jeux de Vancouver au sein de la délégation australienne, mais alors que le reste du monde rentrait chez soi, Spring a entamé les démarches pour s’en faire un nouveau, au Canada.
Il y a près de 17 000 km entre l’Australie et la Jamaïque, mais deux hommes nés dans ces pays se réuniront à l’intérieur d’une luge canadienne en quête de gloire en Corée. Rien n’est plus Canadien que des gens de différentes parties du monde qui travaillent ensemble et font réussir le Canada.
L’expérience humaine de la migration est généralement empreinte d’incertitude et d’inquiétude. Un nouveau départ s’accompagne souvent d’espoir, mais aussi de la peur de l’échec, du rejet et de l’isolement. Bien sûr, les enjeux des athlètes d’élite ne sont pas ceux des migrants qui font face à des situations de vie ou de mort avant de mettre pied au Canada. Ces situations ne se comparent pas.
Mais ce que ces athlètes ont en commun avec les autres nouveaux arrivants au Canada, ce sont les efforts qu’ils font pour redonner à leur pays d’adoption. Et il y a peu de tribunes aussi grandes que les Jeux olympiques pour souligner cette contribution.