Cynthia Appiah : Un désir d’être non seulement la meilleure, mais aussi la meilleure représentante
Ma passion pour le sport est en constante évolution.
J’ai été initiée au sport de compétition en sixième année quand j’ai tenté de me tailler une place au sein de l’équipe d’athlétisme de mon école.
J’avais pratiqué des sports d’équipe auparavant, mais cela avait plus à voir avec la participation de mes amis qu’avec l’amour du sport. L’athlétisme était différent, par contre, car il me mettait dans un état d’esprit unique. Gagne ou perd, j’étais la seule responsable.
Ce test de mes habiletés m’a intriguée plus que n’importe quel sport d’équipe. Ma passion était d’être la meilleure au sprint (100 m et 200 m) et au lancer (lancer du poids). J’étais trop jeune pour savoir que le sport, c’était plus que ça. Je pensais qu’être la meilleure était la seule chose qui comptait dans le sport.
À l’école secondaire et à l’université, j’ai continué à exceller dans les épreuves de lancer (en ajoutant le marteau à mon répertoire) et ma passion était toujours d’être la meilleure. Malgré les nombreuses médailles que j’ai remportées au cours de ma carrière à l’Université York, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose. J’ai atteint un point où je n’appréciais plus le sport pour ce qu’il était. J’étais dans une impasse (ce n’était pas la première ni la dernière) et mon mantra préféré ne m’aidait pas à surmonter mon blocage psychologique. Je savais qu’une participation aux Jeux olympiques d’été n’était pas réaliste. J’avais besoin d’un changement et c’est le bobsleigh qui m’a offert ce changement grâce à de nouveaux défis.
Pendant près de dix ans, en tant que spécialiste des lancers, je n’avais pas eu à porter une attention particulière à la nutrition. Mais pour le bobsleigh, j’ai dû réduire mon poids de 196 lb (89 kg) à 170 lb (75 kg) afin de pouvoir glisser sans que mon équipe soit disqualifiée. De 2013 à 2015, j’ai travaillé sur mon alimentation en plus de devenir plus rapide et plus forte et j’ai finalement obtenu une place au sein de l’équipe nationale à l’automne 2015.
En seulement trois ans, je suis devenue la freineuse numéro un du programme et j’étais sur le point de participer à mes premiers Jeux olympiques à PyeongChang 2018. Cependant, au cours de la saison olympique, des situations hors de mon contrôle sont survenues et je me suis retrouvée sur les lignes de côté en tant que remplaçante.
À moins d’une blessure à l’une des athlètes de l’équipe, je n’allais pas concourir pour le Canada. Mon rêve s’était envolé et les encouragements ou les pensées positives ne suffisaient pas à me sortir du trou noir qui avait été créé. À ce moment, j’ai décidé qu’il était temps de mettre fin à la poursuite de mon rêve olympique. Je n’avais pas réussi à me qualifier pour les Jeux d’été et maintenant, malgré le fait qu’ils étaient à ma portée, je n’arrivais pas à participer aux Jeux d’hiver.
Je m’étais convaincue que mon rêve n’allait pas se réaliser et que j’étais, véritablement, un échec.
Pour les partisans qui regardent de la maison, les projecteurs, l’aspect grandiose et le prestige du spectacle que sont les Jeux olympiques produisent des images d’athlètes qui travaillent d’arrache-pied pour avoir la chance de faire la fierté de leur pays – et c’est vrai. Mais pour chaque athlète qui atteint son objectif, il y a davantage d’athlètes à l’arrière-plan, qui soutiennent le système sans aucune reconnaissance. Ils sont presque comme une ombre. C’est ce que j’ai ressenti pendant trois semaines en Corée du Sud à l’hiver 2018.
Je me suis sentie écartée de ma propre équipe. Je n’ai pas pu loger dans le village des athlètes, j’étais plutôt installée dans un hôtel voisin. Même si j’étais une athlète, mon rôle officiel aux Jeux était celui de membre du personnel de soutien. En tant que freineuse remplaçante, mon rôle était de prendre part à la majorité des descentes d’entraînement afin que la freineuse principale soit bien reposée. Chaque jour, je devais pousser au maximum pour donner aux pilotes une poussée qui se rapprochait le plus possible de celle d’une journée de compétition.
J’étais là pour soutenir l’équipe et m’assurer que mes coéquipières étaient prêtes psychologiquement même si j’étais moi-même angoissée. Dans une telle situation, il faut sourire et s’assurer de ne pas montrer à vos coéquipiers à quel point vous êtes bouleversé, car vous êtes là pour eux maintenant, et non pour vous. Malgré tout, mes coéquipières savaient que j’étais frustrée et blessée par ce qui me semblait être une rétrogradation. J’ai détesté chaque instant. J’avais l’impression qu’une grande injustice avait été commise, mais je ne pouvais rien y faire.
Après PyeongChang, j’ai pratiquement décidé d’arrêter complètement le sport. J’aurais peut-être recommencé à lancer pour le plaisir, mais je n’avais aucune envie de prendre part à des compétitions. Ce n’est qu’à l’insistance de quelques personnes clés – à savoir mes coéquipiers Neville Wright et Lascelles Brown, l’ancienne freineuse Shelley-Ann Brown et les entraîneurs Lyndon Rush et Quin Sekulich – que j’ai commencé à penser à tenter ma chance à nouveau.
Ils ont dû unir leurs efforts pour me convaincre que mon parcours en bobsleigh n’était pas terminé, qu’ils comprenaient ma douleur et qu’ils savaient que si j’abandonnais, je passerais le reste de ma vie à me demander si j’avais fait le bon choix. Ils m’ont même suggéré d’essayer l’école de pilotage de Lake Placid, dans l’État de New York, pour voir si cela stimulerait à nouveau mon intérêt pour le bobsleigh.
Je ne voulais pas l’admettre à l’époque, mais ils avaient raison. Je ne voulais pas me retrouver devant toutes ces questions sans réponses : Aurais-je pu devenir pilote? Aurais-je pu exceller dans ce rôle? Aurais-je pu revenir à la compétition et atteindre mon objectif?
Cependant, ces questions inspirantes étaient accompagnées de questions négatives : Et si je suis une mauvaise pilote? Et si je me « fais avoir » à nouveau? Et si je mets ma vie en suspens pendant les quatre prochaines années et que je manque à nouveau mon coup?
J’ai dû écarter ces pensées et voir l’école de pilotage comme ce qu’elle était : une chance d’avoir à nouveau du plaisir à m’entraîner et à faire du sport de compétition. Une fois revenue du camp de trois semaines, j’ai pris la difficile décision de mettre à nouveau ma vie en suspens au profit du sport et de tenter à nouveau de me qualifier pour les Jeux olympiques, cette fois en tant que pilote.
Être Noire au sein d’un sport majoritairement blanc vous place dans une situation particulière. Il y a encore des points de vue négatifs à propos de ce que les Noirs peuvent et ne peuvent pas faire dans ce sport. Certaines personnes émettent ouvertement leur opinion comme des faits et nient toute implication raciale. Malheureusement, il y a des personnes qui s’accrochent à des croyances aussi idiotes et archaïques dans le monde du bobsleigh, en particulier que les Noirs sont de mauvais pilotes de nature.
Une analogie qui est souvent utilisée pour aider ceux qui ne sont pas familiers avec le bobsleigh est la croyance qu’au football les joueurs noirs ne peuvent pas être de bons quarts-arrière, que ces athlètes manquent « d’intelligence » sur le terrain. Ce point de vue est profondément ancré dans certains cercles et, parfois, fait les manchettes. L’été dernier, la pilote de l’équipe américaine Elana Meyers Taylor a écrit à propos d’un fabricant de bobs qui « refuse de vendre aux pilotes noirs » et qui aurait dit « si je voulais voir un singe conduire un bob, j’irais au zoo ». Suite à cet incident, la Fédération internationale de bobsleigh et de skeleton a mis en place un groupe de travail pour traiter les cas signalés de discrimination.
Quand il est question de sports d’hiver, le bobsleigh est certainement l’un des plus diversifiés. Mais il y a encore une sorte de plafond de verre.
Intentionnellement ou non, la plupart des athlètes commencent leur carrière de bobsleigh en tant que freineurs. Relativement parlant, le coût de participation au bobsleigh est moins élevé pour un freineur et il pourrait donc être plus lucratif de demeurer dans ce rôle. Pour diverses raisons, le nombre d’athlètes de couleur qui font le saut de freineur à pilote est moins élevé. L’un des obstacles est le manque de représentation. Comme ils voient rarement quelqu’un qui leur ressemble dans le siège du pilote, plusieurs d’entre eux n’aspirent pas à changer de rôle.
Cependant, d’autres peuvent avoir de telles aspirations et ne peuvent tout simplement pas le faire. L’intuition est fortement influencée par notre environnement et parfois nous élaborons des scénarios pour nous convaincre que nous ne pouvons pas faire quelque chose. Ainsi, jusqu’à ce que quelqu’un trace la voie, vous créerez parfois vos propres obstacles.
Un autre obstacle est d’ordre financier, car le coût de devenir pilote est presque prohibitif. Au cours de vos deux premières années dans le siège avant, vous êtes relégué au circuit de compétition le plus bas et devez mériter votre place sur le circuit de la Coupe du monde en obtenant des points liés à la performance. Il n’y a pas de bourses en argent sur ces circuits inférieurs. En tant que freineuse de haut niveau, j’ai dû prendre la décision de renoncer à une certaine sécurité financière pour poursuivre ce nouvel objectif de participer à Beijing 2022.
Cela dit, au cours de la dernière décennie, le nombre de pilotes noirs est passé de zéro à Vancouver 2010 à quatre à Sotchi 2014 et PyeongChang 2018. Si je me qualifie pour Beijing 2022, je pourrais aider à porter le total à sept pilotes noirs (potentiellement deux hommes et cinq femmes).
Ma passion pour le sport a définitivement changé. Je veux toujours être la meilleure dans l’histoire de mon sport (et je crois sincèrement que j’en suis capable), mais je veux vraiment être un exemple de ce que les athlètes noirs peuvent faire. Je veux être une preuve visuelle pour les enfants et les jeunes, en particulier les jeunes Noirs, que nous avons notre place dans tous les sports, y compris les sports d’hiver.
Le stéréotype selon lequel les Noirs ne réussissent pas bien dans le froid doit être supprimé. Le stéréotype selon lequel les Noirs ne peuvent pas être de bons pilotes de bobsleigh doit être supprimé. Le stéréotype selon lequel les athlètes noirs ne peuvent pas diriger une équipe avec succès doit être supprimé.
Je suis prête à me retrouver sous les feux de la rampe et à montrer au monde ce que je peux faire grâce à ma passion.
Cynthia Appiah a fait ses débuts en Coupe du monde en tant que pilote en janvier 2020. En plus de l’épreuve féminine de bob à deux, elle espère aussi faire partie des débuts olympiques du monobob féminin à Beijing 2022.