Mary Spencer crée une nouvelle réalité
« Un jour, je dirai aux boxeuses que seuls les gars concouraient aux Jeux olympiques, pas les filles. Elles ne me croiront pas. »
Voilà le monde dans lequel la boxeuse olympique Mary Spencer souhaite vivre. Et la jeune femme de 28 ans a fait en sorte que ce soit possible en se rendant vulnérable à son sport, et en risquant ses relations personnelles, sa carrière et sa passion, tout cela pour l’amour de la boxe. Son grand amour de la boxe.
Cela peut sembler quelque peu épeurant, mais comme toute autre athlète d’élite, elle n’est pas étrangère à la peur.
« Toutes les fois que je monte dans le ring, je ressens de la peur », affirme Mary Spencer, triple championne du monde. « Le matin d’un combat, je suis toujours nerveuse. Je me réveille, et j’ai tout de suite peur. Je peux dire avoir été nerveuse toutes les fois que j’ai concouru. »
Mais pour changer le monde, il faut affronter ses peurs. Et les capacités de Mary à « composer avec elles » lui ont ouvert des portes, c’est bien certain, mais elles ont surtout ouvert des portes à une nation qui se tourne vers le sport pour influencer le cours des choses.
La vie de Mary Spencer, et de toutes les autres boxeuses, a changé en août 2009 lorsque le Comité international olympique (CIO) a approuvé l’intégration de la boxe féminine au programme olympique pour Londres 2012.
La décision du CIO a donné à Mary une nouvelle perspective de carrière, puisqu’elle pouvait désormais viser la scène olympique. Fière athlète Ojibway originaire de Cape Croker (Ontario), elle aurait maintenant l’occasion de devenir pionnière dans un sport à dominance masculine.
En cours de route et jusqu’à ce qu’on l’admette officiellement au sein de l’Équipe olympique canadienne, Mary a dû difficilement faire connaissance avec tout ce qui accompagne le « vedettariat ». Laisser sa marque dans l’histoire se révélerait un défi incroyable.
Une cinquième place décevante à Londres allait être le produit de plusieurs facteurs, selon la résidante de Windsor.
En faisant un retour sur son périple, la boxeuse dit avoir appris que l’expérience olympique doit être son expérience à elle, et celle de personne d’autre – peu importe la pression que l’on ressent lorsque l’on représente son pays sur la scène mondiale.
« Je sais qu’ils (les Jeux olympiques) ont une influence sur ma famille, mon club, mes entraîneurs, ma communauté et les gens qui me suivent », explique Mary. « Il ne faut pas que j’y pense constamment comme je l’ai fait en 2012. Il faut vraiment que je voie qu’il s’agit de mon rêve, et que je tente de le réaliser. »
Comme on l’a raconté dans le documentaire intitulé « Last Woman Standing » sorti la fin de semaine passée, Mary Spencer a ce qu’il faut pour monter sur la plus haute marche du podium, et son curriculum vitӕ en est la preuve.
Son histoire a commencé au Windsor Amateur Boxing Club sous la supervision de l’entraîneur Charlie Stewart. Bonne athlète qui excellait en basketball et montrait une certaine agressivité, Mary s’est rendue au gym à la demande de M. Stewart qui voulait voir de quel bois elle se chauffait dans le ring.
« Mary n’est pas une personne qui abandonne », explique M. Stewart. « C’est pour cela qu’elle est rendue où elle est. »
Mary Spencer est devenue athlète senior nationale en 2004 et a récolté neuf titres de championne canadienne consécutifs, ainsi que trois titres de championne du monde au cours de sa carrière.
L’intégration de la boxe aux Jeux olympiques de 2012 constituait un grand pas vers l’égalité des sexes, mais elle a laissé beaucoup de boxeuses perplexes quant à ce qu’elles devaient faire par la suite.
Seules trois catégories de poids ont été présentées à Londres, beaucoup moins que les 10 dans lesquelles les hommes concourent. Originalement dans la catégorie des 66 kg, Mary Spencer a dû faire prendre un tournant à sa carrière lorsque le CIO n’a pas inclus sa catégorie aux Jeux olympiques.
Avec un nombre limité de catégories, les boxeuses comme Mary Spencer allaient devoir prendre des décisions cruciales : prendre ou perdre du poids.
Pour réaliser son rêve, la boxeuse est passée dans la catégorie des 75 kg, et elle a donc dû affronter sa bonne amie Ariane Fortin, originaire de Saint-Nicolas (Québec), pour la seule place offerte au Canada. La lutte intérieure de Mary Spencer face à l’affrontement contre Ariane Fortin, double championne du monde, est racontée dans « Last Women Standing ».
Le film, premier long métrage réalisé par Juliet Lammers et Lorraine Price, sert de rappel lorsqu’il s’agit des obstacles que doivent affronter tous les jours les athlètes pour être les meilleurs. Le film suit les sacrifices qu’ont faits ces boxeuses pour pouvoir s’entraîner sans relâche, et aussi leur lutte pour mettre de côté leurs liens et leur amitié en vue de se qualifier pour Londres.
« Nous nous intéressions au fait que la boxe féminine faisait pour la première fois partie des Jeux olympiques », explique Mme Lammers. « Et nous savions qu’il n’y aurait que trois catégories de poids et que le Canada compte deux championnes du monde dans la même catégorie. Le film représentait une façon de se pencher sur l’état de la boxe féminine. »
Aujourd’hui, la boxe féminine fait partie d’un tout nouveau monde.
On entend des rumeurs à l’effet que le CIO proposera de nouvelles catégories de poids pour RIO 2016. Si cela se produit, davantage de boxeuses auront l’occasion de concourir et de représenter leur pays sans avoir à prendre la difficile décision d’avoir à réinventer leur corps pour se qualifier.
« Je crois que beaucoup de très bonnes boxeuses ont été exclues des Jeux olympiques », affirme Mary Spencer. « Et je crois que l’Association internationale de boxe en est consciente. »
Selon Mary, les films comme « Last Women Standing » (et le fait qu’y soient incluses les deux meilleures boxeuses du Canada) aideront à faire la promotion du sport et à lui faire prendre de l’ampleur.
« C’est fantastique de voir des femmes faire de la boxe », déclare Mary Spencer. « Je n’ai jamais vraiment eu la chance de voir d’autres femmes boxer, et c’est ce que je voulais faire. Je crois que beaucoup plus de filles pourraient aimer le sport si l’occasion se présentait. Ce sont des choses comme ce film qui aident à faire connaître des sports comme le nôtre. »
Faire connaître le sport, oui, mais grâce aux athlètes comme Mary Spencer et Ariane Fortin et un film qui a capté un moment important de l’histoire du sport, le Canada se trouve devant de nouveaux espoirs et un nouvel avenir pour la boxe féminine.
Mary Spencer et Ariane Fortin se sont engagées à réaliser le cycle d’entraînement olympique complet en préparation pour les Jeux d’été, à Rio.
Et derrière elles suivra une nouvelle génération de boxeuses.
– George Fadel
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